Il était une fois un millier de chèvres françaises dans l’Oural

Il était une fois un millier de chèvres françaises dans l’Oural

Le groupe ekaterinbourgeois UGMK-Agro vient d’acquérir un troupeau de chèvres alpines auprès de la société française KBS Genetic. Objectif : lancer une production de fromage dans l’Oural. Le Courrier de Russie a enquêté sur ce projet ambitieux. En août 2014, en réponse aux sanctions, Moscou refuse l’accès de son marché aux produits alimentaires européens. C’est alors qu’Ilia Bondarev, directeur d’UGMK-Agro, branche alimentaire de la Holding métallurgique d’Ekaterinbourg, a l’idée de lancer une production de fromage de chèvre dans sa région. « Nous y voyions une niche à fort potentiel commercial et la possibilité de monter un business intéressant », explique-t-il. Le premier pas consiste à acheter des chèvres : n’ayant pas trouvé de race appropriée en Russie, le chef d’entreprise étudie l’offre existante en Suisse, aux Pays-Bas, en Israël… puis se tourne naturellement vers la France. « Nous avons rapidement compris que les Français sont les meilleurs dans la fabrication de fromage de chèvre », commente-t-il. Ilia Bondarev s’adresse à l’antenne russe de l’agence Business France, qui l’aide dans ses démarches : « En octobre 2015, nous avons passé trois jours en Poitou-Charentes à visiter les élevages de chèvres, raconte Natalia Chtykalo, responsable du pôle Agrotech de Business France, qui a accompagné le projet. Les représentants d’UGMK-Agro s’intéressaient à tous les aspects technologiques de la fabrication du fromage, jusqu’à l’alimentation des animaux et leur reproduction », précise-t-elle. Finalement, le choix s’arrête sur la société KBS Genetic, installée en Haute-Vienne, qui a déjà fourni des chèvres à des agriculteurs russes et s’est fait une réputation de partenaire fiable. UGMK-Agro signe sur-le-champ. Et, en ce mois de novembre 2016, 950 chèvres et 28 boucs de race alpine, nés au printemps dernier, ont débarqué dans l’Oural.

« Les sanctions sont favorables à l’exportation de la génétique française »

KBS Genetic n’en est pas à ses premiers contacts avec la Russie : « Nous avons commencé à travailler avec les Russes il y a cinquante ans : mon premier contrat – avec l’URSS – date de 1970 ! », annonce Samuel Kouba, co-fondateur de KBS Genetic, à l’époque directeur de l’Union coopérative agricole française. Mais si l’URSS achetait principalement des bovins français, la Russie se passionne pour les chèvres , « et ce pour la cinquième année consécutive », précise Samuel Kouba.

Ce contrat avec la ferme d’UGMK-Agro est déjà la troisième grande importation de chèvres de KBS Genetic en Russie au cours des trois dernières années. Fin 2014, la société française avait ainsi fourni à deux fermes russes, à Smolensk et en Oudmourtie, 300 chèvres alpines chacune. « Les sanctions sont favorables à l’exportation de la génétique française », se félicite Samuel Kouba.

La chèvre alpine n’a pas été choisie au hasard : « La race est réputée pour son lait, riche en protéines et en matières grasses, qui convient parfaitement à la production de fromage », explique Samuel Kouba. Autre avantage : la chèvre alpine s’adapte plus facilement que d’autres races aux conditions climatiques difficiles de la Russie. « En France, ces chèvres sont élevées dans la région de Bordeaux, où les températures hivernales sont relativement douces », poursuit le co-fondateur de KBS Genetic. Pour éviter aux animaux un choc climatique, UGMK-Agro a équipé ses fermes d’un système de chauffage maintenant la température à 15 degrés en hiver. « Les Russes ont bien écouté nos conseils ! », se réjouit un Samuel Kouba persuadé que les éleveurs et généticiens français ont encore de grosses parts de marché à prendre en Russie : la Fédération recense un cheptel total de 25 000 animaux seulement – contre un million en France.

« Nous voulons développer la branche du fromage de chèvre »

La production de fromage dans la région d’Ekaterinbourg devrait débuter au printemps 2017, quand les chèvres françaises auront commencé à se reproduire et à donner du lait : UGMK-Agro table sur une production de 100 tonnes de lait par mois, pour environ dix tonnes de fromage. « J’adore le fromage de chèvre !, confie Ilia Bondarev. J’en ai goûté il y a quelques années en France. Je trouve que c’est un produit formidable et je voudrais que les habitants de ma région puissent en profiter. »

Pour réaliser son rêve, il a équipé sa ferme de Sadovy, près d’Ekaterinbourg, du meilleur matériel : les trayeuses viennent d’Irlande, les distributeurs de fourrage, de Grèce, et la ligne de préparation des fromages, de France. « Nous avons réuni la meilleure technique en provenance du monde entier. Et nous espérons qu’elle nous permettra de créer un effet économique important », confie Ilia Bondarev. Le fermier n’attend ses premiers bénéfices que dans sept ans ; aujourd’hui, l’heure est aux investissements : 290 millions de roubles (4,2 millions d’euros) pour l’acquisition et l’entretien du troupeau, et 150 millions (2,1 millions d’euros) supplémentaires pour la production de fromage. UGMK-Agro a emprunté aux banques, mais l’État russe a promis de l’aider à les rembourser. « Des projets de cette ampleur sont difficiles à monter sans soutien public », précise Ilia Bondarev. Samuel Kouba confirme : « De nombreux agriculteurs russes oublient que l’élevage de chèvres est une production industrielle et sous-estiment le budget de leur entreprise », affirme le co-fondateur de KBS Genetic. Mais heureusement, ce n’est pas le cas d’UGMK-Agro, souligne-t-il, convaincu que leurs efforts conjoints « conduiront au meilleur résultat ».

UGMK-Agro envisage de fabriquer deux types de fromage : une bûche de chèvre et un camembert de chèvre à pâte molle et croûte fleurie. La technologie précise de production reste à élaborer – et les fermiers russes vont de nouveau faire appel à des spécialistes français. « Nous avons commencé à construire un centre d’essais et de formation, près de la ferme, à Verkhniaïa Pychma, où nous testerons diverses technologies et où nous formerons le personnel, poursuit Ilia Bondarev, qui table sur la création de 50 emplois supplémentaires pour la région. L’objectif, à moyen terme, est d’augmenter le troupeau afin de revendre des chèvres à d’autres fabricants de fromage – en les accompagnant dans le développement de ce business prometteur.

Mais ça, c’est pour demain. Pour l’heure, dès ce printemps, le premier défi sera de conquérir le cœur du consommateur. « Le plus difficile sera de montrer aux Russes qu’ils ont besoin du produit que nous fabriquons », commente Ilia Bondarev. Et le challenge est de taille, dans un pays accoutumé aux pâtes cuites et au lait de vache, et très peu habitué aux fromages de chèvre.

« Ils vont apprécier, c’est sûr !, affirme Natalia Chtykalo de Business France, rassurée. Ekaterinbourg est une grande ville avec un fort niveau de consommation, et des projets comme celui d’UGMK-Agro sont voués au succès », conclut-elle.

En chiffres En 2016, un kilo de fromage en Russie coûte 429 roubles (6,33 euros) en moyenne. Les Russes consomment en moyenne 4,1 kg de fromage par an. Les Français consomment en moyenne 15 kg de fromage par an. En 2015, le marché russe du fromage a représenté un volume global de 598 000 tonnes, soit 22 % de moins que l’année précédente (765 000 tonnes). Au cours du premier semestre 2016, le marché russe du fromage a augmenté de 8 %en volume par rapport à la même période en 2015, pour atteindre 310 000 tonnes. Cette croissance est majoritairement due aux importations, qui se sont accrues de 21 % en six mois. Les fromages à pâte semi-ferme et à pâte fondue représentent 80 % du volume total de la consommation des Russes. La consommation de fromage en Russie s’est réduite ces dernières années, passant de 5,7 kg par an et par personne en 2013 à 4,1 kg en 2015. Le phénomène est principalement dû à la baisse des revenus réels de la population. Sources : RBC, Petrova Five Consulting


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